Par Dr Koné Idrissa
Dans une interview sur la chaîne radio France-Inter[i], Claire Hédon, chargée de défendre les droits des citoyens français, dénonçait la maltraitance des personnes âgées. Elle a tenu des propos à même de glacer tout citoyen soucieux du bien-être des personnes du troisième âge dans la société.
On s’attendrait à une levée de bouclier pour dénoncer cette maltraitance des plus abjects désignée par l’euphémisme « atteinte aux droits fondamentaux des personnes âgées ». Mais silence radio. Ces faits sont passés quasiment inaperçus dans l’actualité. Pire : aucune autorité de l’État n’a osé prendre des décisions courageuses suite aux recommandations de la défenseure des droits. Les adultes âgés, en particulier ceux résidant dans les établissements d’hébergements de personnes dépendantes (EHPAD), n’intéressent pas grand monde. Ayant du mal à se déplacer, ils ne votent plus : en somme ils ne pèsent pas dans aucune élection et sont un fardeau.
Comment en sommes-nous arrivés là ? Il ne faut pas être devin : la faute incombe en premier aux enfants de ces personnes. Ils ont un plan simple : nos parents nous mettent au monde, s’occupent de nous, nous hébergent, nous scolarisent. Lorsque nous trouvons du travail et nous sentons qu’ils ne sont plus autonomes et de surcroît nous empêchent de vivre selon nos désirs, nous les envoyons dans des EHPAD. Tel est mon constat. Mais une analyse d’un sondage réalisé en 2019 par l’institut ODOXA semble contredire mon diagnostic. Or il n’en n’est rien. Ce sondage disait :
- Pour 59 % des Français, la prise en charge du grand âge et de la dépendance est un sujet majeur ; c’est une préoccupation plus qu’importante pour 9 Français sur 10 […] et elle est même prioritaire pour 1 Français sur 2.
- 68 % des Français et 60 % des aidants sont insatisfaits de la prise en charge de cette question en France.
- 54 % des Français et 68 % des aidants sont inquiets quant à la façon dont ils géreront leurs propres vieillissements.
- En cas de perte d’autonomie, dans la majorité des cas les Français veulent rester à leur domicile mais 74 à 76 % d’entre eux et 64 % des aidants sont persuadés que les moyens accordés à l’aide au maintien à domicile et aux établissements d’hébergement sont insuffisants. Plus grave encore, près de 9 personnes sur 10 jugent les politiques publiques inadaptées aux défis du grand âge et de la perte d’autonomie.[ii]
L’analyse de ce sondage met en évidence ces faits des plus déconcertants :
- Nulle part la place des enfants, qui doivent être en première ligne, n’est évoquée, et de ce fait le manque d’affectivité n’est pas pris en compte.
- Ce rapport préconise que le maintien à domicile de ces personnes doit se faire chez elles et non chez leurs enfants.
- La prise en charge financière relève de l’État et elle est insuffisante. À aucun moment le portefeuille des enfants n’est mis à contribution.
- Tous les faits décrits sont d’ordre financier matériel
L’ironie du sort est que ces mêmes enfants redoutent la façon dont ils géreront leur propre vieillissement : il y a donc une sorte de mea culpa.
Feu le 4e Calife de la communauté musulmane Ahmadiyya avait fait un constat amer du traitement dont souffrent les seniors en Occident.
« De nos jours, la société se tourne de plus en plus vers l’État pour prendre en charge des personnes âgées. Cette responsabilité représente un fardeau très lourd pour l’économie nationale. Quelle que soit la somme déboursée par l’État, il ne pourra jamais offrir aux personnes âgées la satisfaction et la paix. […] Aujourd’hui, il est très difficile d’imaginer qu’une famille veuille bien s’occuper d’un parent éloigné. Dans ces sociétés, le besoin de foyers pour personnes âgées augmente avec le temps. Pourtant, il n’est pas toujours possible que l’État puisse leur fournir le minimum nécessaire pour une vie décente. Dans la société moderne il est plus facile de soigner les maladies physiques, que les traumatismes psychologiques dont souffre un grand nombre de personnes âgées. »[iii]
Plus de 15 siècles de cela, l’Islam avait souligné l’importance du bon traitement à l’égard des aînés de la société afin que ces derniers puissent aborder paisiblement la dernière phase de leur vie. Dieu déclare dans le Saint Coran :
« Ton Seigneur a ordonné que vous n’adoriez nul autre que Lui, et que vous montriez de la bonté aux parents. Si l’un d’entre eux, ou tous deux, atteignent la vieillesse auprès de toi, ne leur dis jamais aucune parole exprimant le dégoût, ni ne leur fais aucun reproche, mais adresse-toi à eux avec douceur et respect. Et, animé de tendresse, abaisse pour eux l’aile de ton humilité. Et dis : ‘‘Mon Seigneur, aie pitié d’eux tout comme ils m’ont élevé dans mon enfance.’’ »[iv]
Selon ces versets les personnes âgées sont un bien sacré qui mérite d’être chéri. Leur environnement affectif, et non quelque considération financière, doit être la priorité. L’Islam nous enjoint d’être bienveillant envers elles, de nous adresser à elles avec tendresse, de ne pas les blesser, de ne pas les faire souffrir moralement. Les termes « atteignent la vieillesse avec toi » démontrent qu’on doit être auprès d’elles, à leurs petits soins au lieu de chercher des solutions pour se débarrasser d’elles.
En ce qui concerne leur prise en charge financière, Dieu dit dans le Saint Coran : « La vertu ne consiste pas à ce que vous tourniez vos visages vers l’Est ou vers l’Ouest, mais la vraie vertu est que l’on croit en Allah et au Jour Dernier et aux anges et au Livre et aux Prophètes, et que, pour l’amour d’Allah, l’on dépense de l’argent sur les proches parents et sur les orphelins et sur les nécessiteux et sur le voyageur et sur ceux qui demandent de l’aumône et pour rançonner les captifs […] » [v]
« Alors donne au proche parent ce qui lui est dû, et au nécessiteux et au voyageur. Cela vaut mieux pour ceux qui recherchent le plaisir d’Allah, et ce sont ceux-là qui prospéreront. » [vi]
L’analyse de ces versets démontre que toute dépense financière doit être rattachée à des notions d’amour, d’affectivité et de générosité.
Le Saint Prophète Muhammad (sa) – la personnification même du Saint Coran – avait amplement souligné l’importance du bon traitement envers les parents.
Abou Houraira (ra) rapporte : « Un homme vint voir le Saint Prophète Muhammad et lui demanda qui méritait le meilleur traitement de sa part. Il lui répondit : « Ta mère. » L’homme demanda encore : « Et qui après elle ? » Le Saint Prophète Muhammad répéta : « Ta mère. » L’homme demanda une troisième fois : « Et après ma mère ? » et le Saint Prophète Muhammad répondit de nouveau : « Toujours ta mère. » Et quand l’homme lui eut demandé une quatrième fois, il dit : « Après elle, ton père, et après lui tes plus proches parents, et après eux tes parents éloignés. »[vii]
Abdoullah ibn Amar (ra) rapporte quele Saint Prophète Muhammad (sa) a déclaré : « La satisfaction d’Allah se trouve dans la satisfaction du père et la colère d’Allah se trouve dans la colère du père. » [viii]
Abou Houraira (ra) rapporte quele Saint Prophète Muhammad (sa) a dit : « Misérable est cette personne ! Misérable est cette personne ! Misérable est cette personne ! On lui a demandé : « Qui est-ce, ô Messager d’Allah ? » Il a répondu : « Celle qui trouve ses deux parents ou l’un d’entre eux dans leur vieillesse sans pour autant mériter dans le Paradis (en les servant). »[ix]
Abou Oumama (ra) rapporte qu’un homme a dit : « Ô Messager d’Allah ! Quels sont les droits des parents sur leurs enfants ? » Il a répondu : « Ils sont votre Paradis aussi bien que votre Enfer. »[x]
Abou Bakr (ra) rapporte quele Saint Prophète Muhammad (sa) a dit : « Allah le Très-Haut, peut pardonner tous les péchés sauf la désobéissance envers les parents ; et en vérité, Il hâte le châtiment de celui qui commet cela dans cette vie même. »[xi]
Ces sages paroles ne nécessitent aucun commentaire. Elles doivent être mises en application, d’autant plus que les analyses démographiques de l’Union Européenne prévoient une augmentation exponentielle du nombre de personnes âgées au cours des prochaines décennies.[xii]
Les jeunes et les adultes de notre époque seront les personnes âgées de demain. Évitons d’être à l’image de ce fils indigne du récit relaté par feu le 4e Calife de la communauté musulmane Ahmadiyya :
« Ceci est une histoire qui pourra faire rire certains et pleurer d’autres. C’est celle d’un enfant qui regarde d’un œil mécontent le mauvais traitement que son père fait subir à son grand-père. Ce dernier est forcé de déménager dans des chambres de moins en moins confortables, pour être finalement relégué dans le quartier des serviteurs. Pendant un hiver très glacial, le grand-père se plaignit que sa chambre était froide et sa couverture pas assez épaisse. Son fils, c’est-à-dire le père de l’enfant, se mit à chercher une autre couverture dans une boîte de vieux chiffons. En voyant ce que faisait son père, l’enfant lui dit : « S’il te plaît, ne donne pas tous ces chiffons à grand-père. Gardes-en quelques-un, pour que je t’en offre quand tu seras vieux ! »[xiii]
A propos de l’auteur : Dr Koné Idrissa est Médecin-Radiologue, et membre de l’équipe de rédaction de La Revue des Religions. Il est par ailleurs Secrétaire à la publication et à la prédication de la communauté musulmane Ahmadiyya de Lyon.
[i] https://www.youtube.com/watch?v=2VmNEl5nks8
[ii] Baromètre santé : La prise en charge du grand âge et de la dépendance – Odoxa
[iii] Problèmes des temps modernes : solutions de l’Islam, pages 84 à 85
[iv] Le Saint Coran, chapitre 17, versets 24 à 25
[v] Le Saint Coran, chapitre 2, verset 178
[vi] Le Saint Coran, chapitre 30, verset 39
[vii] Sahih Al-Boukhari
[viii] Tirmidhi
[ix] Mouslim
[x] Ibn Maja
[xi] Baïhaqui
[xii] Livre vert sur le vieillissement, SG.E.3 BERL 06/270 Commission européenne 1049, Bruxelles Belgique.
[xiii] Problèmes des temps modernes : solutions de l’Islam,pages 87-86
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